Cher Ami,
Je t’écris, je n’arrive plus à parler. Ma bouche est sèche de mes cris d’angoisse. Je crois que je n’ai même plus l’envie de m’enfuir ou de rêver d’autres rivages, d’autres terres colorées, emplies de senteurs subtiles et de parfums enivrants. Mes forces s’épuisent petit à petit entre ces quatre murs, qui parfois n’en forment plus qu’un que je suis incapable de franchir. Il y a des jours où je crois que ma démence va me tuer, d’un coup de sabre rageur. Il y a des minutes où je me vois m’effondrer lentement, dans un dégagement de poussières infimes qui ne formeront qu’un tas disgracié en touchant ce parterre si bas. Et je désire ardemment que cette folie me tue comme elle en a tués d’autres que moi. La douleur, c’est bien quand on peut l’interrompre, quand on peut l’apprivoiser, quand on sait exactement de quoi on souffre et comment on peut le soigner. Hélas mon ami, bien que bénéfique pour l’élévation de l’âme, si cette douleur s’installe là, tout près, tapie dans la pénombre, elle devient comme la pourriture, filante et irréelle, avec une odeur acre qui usurpe l’air dans les poumons et envahit la bouche d’un goût amer. Je souffre de cette douleur et je ne sais pas comment la dompter. Toute cette vie dehors, et maintenant cet enfermement dans ce lieu si sombre, annihilent ma personnalité et me font oublier qui je suis vraiment.
D’ailleurs, pour les vivants, je suis déjà mort au fond de ce trou. Je n’existe plus, je ne suis que l’ombre de mon ombre, négation de ma naissance et de mon existence sur cette terre. Le nom qu’on m’avait donné en des temps immémoriaux où j’étais encore quelqu’un aux yeux des autres, un nourrisson promis à un brillant avenir, ce prénom qui habille tout être humain, n’est finalement devenu qu’un surnom sur ma carapace, comme un qualificatif sans forme et sans résonance. Je suis devenu « le fou du fond du couloir », le numéro 666, monstre bestial et meurtrier qui évolue dans ces bas-fond de turpitude. Et la négation de moi-même, par l’affirmation de mon évanescence, va me conduire irrévocablement dans le monde des disparus, tôt ou tard.
Et là, au-dehors, au travers des murs opaques, j’aperçois cette lueur qui m’attire inexorablement, vers la plénitude de ma non-existence, fantôme parmi les morts, même pas encore détruit que déjà oublié pour le commun des mortels qui m’entourent. Dégoût et lassitude sont devenus mon lot quotidien et je m’enferme peu à peu dans la prison de ma prison, réceptacle de ce corps calciné par les blessures que l’on m’a infligées.
Il n’y a plus d’espoir, je sais que je dois le faire, pour ne pas continuer à sentir ces remords qui m’arrachent des cris de douleur dans mes cauchemars. Cette trahison dont je ne suis pas responsable, ces crimes que je n’ai pas commis mais qu’on m’impute pour soulager la conscience des coupables broient ma lucidité qui n’est plus que déliquescence de mon être suprême. On m’a enfermé pour laisser les autres en liberté, on me dit fou pour que les autres ne saisissent pas leur propre folie et la justice des humains n’est que le bras amer de la puissance des vivants qui gouvernent ce monde… de fous.
Il n’y a plus de rêves, il n’y a plus ces montagnes de couleurs que j’essayais d’imaginer dans mes espoirs les plus chers. Je voulais sortir de ce trou et on m’a barré ma libération avec des traitements qui ont fini par taire mes aspirations. Je sens que peu à peu, je m’enfonce dans cette terre meuble et le peu d’intelligence qui me reste sera anéanti par les médicaments qu’on m’administre. J’ai fini par croire que je pense trop et j’aspire peut-être, enfin, à devenir cette bête que l’on croit que je suis, ce monstre de haine que l’on brandit sans cesse au-dessus de ma couche. Cette pensée, il est vrai, me fait approcher peu à peu du sentiment de non-compréhension de ce qui m’entoure. Je vomirai peu à peu cette conscience qui me fait encore entrevoir une onde de lumière dans le fond de ces entrailles.
C’est la dernière fois que je t’écris car la folie que l’on m’impute me tue lentement. Comme homme, on peut mourir à toute heure, à toute minute, par accident, par volonté et il n’y a rien qui peut empêcher cette mortalité. C’est un cheminement fatal et la révélation du néant qui suivra s’est attachée à mon enveloppe comme pour m’habiller de frasques pour mon dernier voyage. Mais je suis encore pour l’instant emprisonné en moi, dans les murs de mes chairs, mon corps est mon carcan.
Mon ami, il y a des jours où je vois cette masse sombre s’éclairer de quelques lueurs. Si seulement je pouvais sortir de cet enfer, si je pouvais m’enlever ces chaînes invisibles que l’on met sur mes poignets. Si je pouvais faire un procès à cet aréopage de savants plus fous que moi. M’élever au-delà de ces murs de poussière et rejoindre le peu de chaleur que le soleil peut encore accorder à cette terre avant son coucher définitif, tué par des hommes avides de commander la lumière. Mais ces visages méphitiques qui enfoncent tous les jours des aiguilles dans mon bras pantelant m’inondent de traitement de poisons éternels, culmination de la science humaine qui croit gouverner un monde qui s’impose pourtant tout seul.
J’ai envie de crever et je ne t’écrirai plus. Je sais que de toutes façons tu n’existes que dans ma conscience, celle qui me fait croire que je suis encore un homme et non une bête féroce. Tu n’as d’ailleurs jamais répondu et tous ces feuillets que je remplis de hiéroglyphes illisibles pour le commun des mortels continueront à s’empiler sur les montagnes de déchets de la servitude humaine. Et pourtant mon Ami, si tu savais comme j’aimerais traverser ces murs de sombres traits qui strient mes yeux, ma tête et mon corps, afin de retrouver la chaleur de tes bras et la lumière diffuse du lever du jour. Si tu savais mon Ami...
Je t’écris, je n’arrive plus à parler. Ma bouche est sèche de mes cris d’angoisse. Je crois que je n’ai même plus l’envie de m’enfuir ou de rêver d’autres rivages, d’autres terres colorées, emplies de senteurs subtiles et de parfums enivrants. Mes forces s’épuisent petit à petit entre ces quatre murs, qui parfois n’en forment plus qu’un que je suis incapable de franchir. Il y a des jours où je crois que ma démence va me tuer, d’un coup de sabre rageur. Il y a des minutes où je me vois m’effondrer lentement, dans un dégagement de poussières infimes qui ne formeront qu’un tas disgracié en touchant ce parterre si bas. Et je désire ardemment que cette folie me tue comme elle en a tués d’autres que moi. La douleur, c’est bien quand on peut l’interrompre, quand on peut l’apprivoiser, quand on sait exactement de quoi on souffre et comment on peut le soigner. Hélas mon ami, bien que bénéfique pour l’élévation de l’âme, si cette douleur s’installe là, tout près, tapie dans la pénombre, elle devient comme la pourriture, filante et irréelle, avec une odeur acre qui usurpe l’air dans les poumons et envahit la bouche d’un goût amer. Je souffre de cette douleur et je ne sais pas comment la dompter. Toute cette vie dehors, et maintenant cet enfermement dans ce lieu si sombre, annihilent ma personnalité et me font oublier qui je suis vraiment.
D’ailleurs, pour les vivants, je suis déjà mort au fond de ce trou. Je n’existe plus, je ne suis que l’ombre de mon ombre, négation de ma naissance et de mon existence sur cette terre. Le nom qu’on m’avait donné en des temps immémoriaux où j’étais encore quelqu’un aux yeux des autres, un nourrisson promis à un brillant avenir, ce prénom qui habille tout être humain, n’est finalement devenu qu’un surnom sur ma carapace, comme un qualificatif sans forme et sans résonance. Je suis devenu « le fou du fond du couloir », le numéro 666, monstre bestial et meurtrier qui évolue dans ces bas-fond de turpitude. Et la négation de moi-même, par l’affirmation de mon évanescence, va me conduire irrévocablement dans le monde des disparus, tôt ou tard.
Et là, au-dehors, au travers des murs opaques, j’aperçois cette lueur qui m’attire inexorablement, vers la plénitude de ma non-existence, fantôme parmi les morts, même pas encore détruit que déjà oublié pour le commun des mortels qui m’entourent. Dégoût et lassitude sont devenus mon lot quotidien et je m’enferme peu à peu dans la prison de ma prison, réceptacle de ce corps calciné par les blessures que l’on m’a infligées.
Il n’y a plus d’espoir, je sais que je dois le faire, pour ne pas continuer à sentir ces remords qui m’arrachent des cris de douleur dans mes cauchemars. Cette trahison dont je ne suis pas responsable, ces crimes que je n’ai pas commis mais qu’on m’impute pour soulager la conscience des coupables broient ma lucidité qui n’est plus que déliquescence de mon être suprême. On m’a enfermé pour laisser les autres en liberté, on me dit fou pour que les autres ne saisissent pas leur propre folie et la justice des humains n’est que le bras amer de la puissance des vivants qui gouvernent ce monde… de fous.
Il n’y a plus de rêves, il n’y a plus ces montagnes de couleurs que j’essayais d’imaginer dans mes espoirs les plus chers. Je voulais sortir de ce trou et on m’a barré ma libération avec des traitements qui ont fini par taire mes aspirations. Je sens que peu à peu, je m’enfonce dans cette terre meuble et le peu d’intelligence qui me reste sera anéanti par les médicaments qu’on m’administre. J’ai fini par croire que je pense trop et j’aspire peut-être, enfin, à devenir cette bête que l’on croit que je suis, ce monstre de haine que l’on brandit sans cesse au-dessus de ma couche. Cette pensée, il est vrai, me fait approcher peu à peu du sentiment de non-compréhension de ce qui m’entoure. Je vomirai peu à peu cette conscience qui me fait encore entrevoir une onde de lumière dans le fond de ces entrailles.
C’est la dernière fois que je t’écris car la folie que l’on m’impute me tue lentement. Comme homme, on peut mourir à toute heure, à toute minute, par accident, par volonté et il n’y a rien qui peut empêcher cette mortalité. C’est un cheminement fatal et la révélation du néant qui suivra s’est attachée à mon enveloppe comme pour m’habiller de frasques pour mon dernier voyage. Mais je suis encore pour l’instant emprisonné en moi, dans les murs de mes chairs, mon corps est mon carcan.
Mon ami, il y a des jours où je vois cette masse sombre s’éclairer de quelques lueurs. Si seulement je pouvais sortir de cet enfer, si je pouvais m’enlever ces chaînes invisibles que l’on met sur mes poignets. Si je pouvais faire un procès à cet aréopage de savants plus fous que moi. M’élever au-delà de ces murs de poussière et rejoindre le peu de chaleur que le soleil peut encore accorder à cette terre avant son coucher définitif, tué par des hommes avides de commander la lumière. Mais ces visages méphitiques qui enfoncent tous les jours des aiguilles dans mon bras pantelant m’inondent de traitement de poisons éternels, culmination de la science humaine qui croit gouverner un monde qui s’impose pourtant tout seul.
J’ai envie de crever et je ne t’écrirai plus. Je sais que de toutes façons tu n’existes que dans ma conscience, celle qui me fait croire que je suis encore un homme et non une bête féroce. Tu n’as d’ailleurs jamais répondu et tous ces feuillets que je remplis de hiéroglyphes illisibles pour le commun des mortels continueront à s’empiler sur les montagnes de déchets de la servitude humaine. Et pourtant mon Ami, si tu savais comme j’aimerais traverser ces murs de sombres traits qui strient mes yeux, ma tête et mon corps, afin de retrouver la chaleur de tes bras et la lumière diffuse du lever du jour. Si tu savais mon Ami...
Numéro 666